L’horloge du campanile, édifié sous le règne de Guillaume II, s’est figée à 11 h 16. C’est à cette heure précise que, par une chaude journée d’août 1994, les soldats soviétiques ont définitivement quitté les lieux pour entrer dans les livres d’histoire.
Hormis leurs vieux journaux, les Russes ont laissé derrière eux la plus grande base militaire d’Europe, une citadelle secrète datant du XIXe siècle. Construite pour servir les ambitions stratégiques de Guillaume II, elle a ensuite rempli le rôle d’épicentre des forces armées nazies.
En 1945, à la défaite d’Hitler, les Russes s’y établirent, faisant des lieux une enclave soviétique en RDA, nation satellite de l’URSS. 50 000 militaires russes vivaient sur ce territoire coupé du monde, plus 10 000 agents administratifs soviétiques et est-allemands. Depuis ce quartier général s’organisait le système de défense — chars, fusées, hommes et probablement armes nucléaires — prêt à se déployer sur le front occidental si la guerre froide venait à s’envenimer.
Désormais, seul Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, veille sur les vestiges. Après le démantèlement du rideau de fer, les nouvelles autorités ont déboulonné sa statue dans de nombreuses villes, petites ou grandes. Mais pas ici.
Chaque jeudi soir, un train à destination de Moscou partait de la gare. La liaison a fonctionné de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au départ des troupes, en 1994. La plupart des soldats russes stationnés ici ne connaissaient de la ville que cette gare et la base militaire.
Un bâtiment circulaire, complètement clos à ce jour, aurait abrité une saisissante reconstitution de la bataille de Berlin. Une œuvre monumentale, à 180 degrés, sous laquelle reposaient les casques, les baïonnettes et les armes utilisés lors de la prise de la ville en 1945. Un projet d’acquisition est tombé à l’eau. La maquette a été délocalisée à Moscou.
Les Russes importaient tout ce qu’ils ne trouvaient pas sur les lieux, y compris les «produits» culturels. Dans le théâtre, les rangées de fauteuils aux inscriptions en cyrillique attendent un public qui ne reviendra jamais. Le ballet du Bolchoï et des acteurs habitués à jouer devant le Politburo du Kremlin se sont produits sur cette scène.
Ces soirées culturelles étaient destinées aux officiers, dont le sort était, pour nombre d’entre eux, nettement plus enviable ici qu’au fin fond de l’empire soviétique. Même les simples soldats, condamnés à vivre entassés dans des dortoirs sans âme avec douze camarades dont ils subissaient les ronflements, préféraient l’Allemagne à la Sibérie. Ils exprimaient leur joie aux travers d’œuvres d’art amateurs.
Les murs portent encore les vestiges de leurs fresques. Certaines de ces créations, au style très soviétique, représentent des centrales électriques ou des mines de charbon.
Les bâtiments semblent ancrés dans l’éternité. La plupart des façades ont conservé leur teinte moutarde, celle de l’époque où les pionniers de l’Allemagne impériale — qui allaient combattre et mourir sur le front occidental lors de la Première Guerre mondiale — paradaient encore dans ces lieux.
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